23 novembre 2005

Le petit voisin, Jeanne Cherhal

Le petit voisin s'appelle Jocelyn avec un P avec un F comme dans Martine. Le petit voisin il a un grain, de sel ou bien de sable, ou bien de caféine. Le petit voisin habite au-dessus de chez nous qui, évidemment, sommes en-dessous. Il prend des cours de Ju-Jitsu mais n'est pas mauvais, n'est pas mauvais pour deux sous.

Et, dans tout l'immeuble, crado mais sympathique, on se chicane, on se cherche, on s'engueule gentiment. Mais le petit voisin, il est total stoïque. Et d'ailleurs il s'en fout car il est étudiant.

Le petit voisin dans son T1 a des instruments assez rares et insolites. Des percus, un masque malien, des cendriers et des grigris de bakélite. Il souffle dans un bout de bambou, un didjeridoo de Pier Import, du Népal. Il joue à poser des embouts sur des bouteilles, puis il aspire et devient tout pâle.

Et, dans tout l'immeuble, crado mais acceptable, on se chicane, on se cherche, on s'engueule calmement. Mais le petit voisin, il s'assied à sa table et il se roule un stick car il est étudiant.

De temps en temps, le petit voisin, pour justifier sa bourse accordée par la fac, fait un saut hors de son T1 et intègre un amphi bondé comme un gros sac. Puis l'heure passée, il rentre au port non sans avoir fait un détour par chez Bubu. Une petite partie de Fighting Simulator, mais pas plus de quatre heures, il faut pas d'abus.

Et dans tout l'immeuble, crado mais bon, ça va, on se chicane, on se cherche, on signe des pétitions. Mais le petit voisin, en lisant des mangas, rêve à des jours meilleurs car il est étudiant.

Sur le macadam citoyen que l'on piétine quand on n'en peut plus de stagner, on voit passer le petit voisin : sous des bannières il se plait à revendiquer un peu plus de ci moins de ça. Un sitting au djembé devant la préfecture. Les causes perdues, les grands débats, on finit par tout faire flamber dans l'aventure !

Et dans tout l'immeuble, crado et pas fini, on se chicane, on se cherche à s'en rendre malade. Et le petit voisin, dans le panier à salade, commence à regretter ses cinq ans et demi.

Et puis un jour, le petit voisin ira pointer quelque part pour bouffer un peu. Il s'ennuiera et sera loin le temps où il rêvait que demain serait mieux. Alors pour tromper l'amertume comme à dix-huit berges en criant que ça suffit, il arpentera le bitume. Rien ne changera mais au mois ça dégourdit.

Au moins ça dé, Au moins ça dégourdit...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

jolie prose!

un peu fataliste... mais bien!